• Loi travail : la CGT, cible du pouvoir et... de la presse

    Cela fait bientôt quatre mois que les manifestations contre la loi travail El Khomri se poursuivent dans la rue. Qu'en est-il du débat de fond ? Seule la rue semble le souhaiter...

     

    Loi travail : la CGT, cible du pouvoir et... de la presse

    Quatre mois de grèves et de tensions... Parmi les manifestants : des contrôleurs aériens, des raffineries, des centrales nucléaires, des éboueurs, des précaires, des moins précaires, des fonctionnaires, etc.  Le constat est assez simple : la colère ne retombe pas... Et le pouvoir politique a bien du mal à gérer cette agitation.

    Une rue demandant le débat sur une réforme structurelle qui a une incidence concrète sur les générations futures (bouleversement de certaines règles du droit du travail - voir plus bas).  Une discussion publique que semble refuser le gouvernement.

    Par conséquent, le pouvoir - loin de rassurer sur le fond de la loi - a décelé trois failles ou angles d'attaque pour casser la légitimité de la contestation.

     

    1) La première faille trouvée : orienter les événements sur les débordements et le parasitage des "casseurs." A cet argument, le gouvernement est bien aidé par son opposition institutionnelle, du parti des "Républicains" (ex-UMP). Le terme de la chienlit refait surface. Ainsi, pour une partie de la presse, les chaînes de "hard news" en tête (mais cela est-ce surprenant ?) et les politiques, les "casseurs", pour une bonne partie membres de formations anarchistes, sont les représentants des imposantes manifestations (qui rassemblent, à chaque appel, plusieurs dizaines de milliers de Français, quels que soient les chiffres officiels/officieux).

    Ainsi, des "unes" de journaux et des discours politiques orientent le traitement de l'information sur la violence d'une minorité. Toutefois, nous sommes bien obligés d'approuver les sentiments de dégoût face à l'action gratuite et violente d'anarchistes, "zadistes" ou de quelques individus totalement opportunistes.  Des "casseurs" qui détruisent la parole syndicale et citoyenne. En cela, le pouvoir et certains médias (par connivence ou suivisme)  l'ont tout à fait compris. Une vitrine saccagée est bien plus vendeuse politiquement et médiatiquement qu'une confrontation d'arguments sur l'article 2 de la loi travail.

     

    2) Deuxième axe : les partisans d'une réforme austère ont ciblé un adversaire, le syndicat de la CGT - celui qui s'oppose le plus vertement à la loi travail. Celui-ci ne représentant, d'après-eux, que 2,5% de l'ensemble des salariés. Une minorité, illégitime même, selon le gouvernement et les libéraux. Sauf que cette parade nie la réalité. D'une part, si 2,6% des salariés sont effectivement adhérents de la CGT, le parallèle est cinglant pour la représentation de nos partis politiques. En effet, le gouvernement dit-il que la Parti Socialiste ne compte que 111 000 adhérents (soit six fois moins que la CGT) et ne représente, donc, dans ce schéma, que 0,25 % de la population ? D'ailleurs, aucun parti (ni à droite, ni à gauche, ni aux extrêmes) n'arrive à égaler le taux d'adhésion de la CGT. Donc, il est assez malhonnête de lancer des diatribes sur la représentation d'un syndicat, quand celui-ci représente six fois le nombre d'adhérents de son parti politique - et première organisation syndicale. Lors de la dernière étude sur les élections professionnelles de 2013, le poids estimé de la représentativité de la CGT était de 30.62%.

    Egalement, parler d'illégitimité de la CGT - et de la contestation - est tout aussi fallacieux quand une dizaine d'organisations syndicales sont également présentes dans les cortèges. Parmi elles, le Syndicat National des Journalistes (premier syndicat chez les journalistes). Assez drôle et inquiétant de constater qu'aucune presse ne mentionne sa présence dans la manifestation...

    En fait, le Parti Socialiste a choisi une tactique. Celle de diviser la nation (ce 16 juin, 60% des Français veulent le retrait de la loi travail, sondage OpinionWay), en éludant le débat - toujours et encore - et en proposant aux Français cette démonstration péremptoire : les modernes et réformateurs font partie des pro-loi Travail, les "régressistes" des anti-loi Travail. Le but étant, en filigrane, de faire monter en puissance les syndicats dits "réformistes" face à la CGT. La CFDT trouve là un appui intéressant, avec le soutien du gouvernement, pour parvenir à ses fins : dépasser la CGT dans les futures élections professionnelles. Ce jeu purement tactique a placé la CFDT dans le renoncement de valeurs et d'idéologies syndicales. Mais là aussi, l'argument, "les réformateurs sont en accord avec la loi travail", ne fonctionne pas. En effet, le syndicat réformateur CFE-CGC (représentant les cadres) a montré son hostilité, notamment sur l'article 2. Une article 2, et l'inversion de la hiérarchisation des normes (faisant privilégier l'accord d'entreprise sur l'accord de branche), qui est « instrument de dumping social » selon François Hommeril, président de la CFE-CGC.

    Le MEDEF - comme le gouvernement d'ailleurs, loin de tenter d'aborder le débat, est lui aussi monté au créneau, souhaitant désormais décrédibiliser le syndicat des cadres : une attitude "CGTiste" pour Pierre Gattaz... Connivence entre intérêts de grands patrons et partisans de la loi travail ?

    La contestation dépasse largement les clivages politiques. Pourtant, le gouvernement persiste : demandée, voire imposée, par la Commission européenne et les directives de l'U.E., la loi travail doit être appliquée pour accroître la concurrence et assouplir les règles des droits du travail. En ce sens, le gouvernement attaque sur un troisième pilier : l'ignorance des dizaines de milliers de Français dans la rue.

     

    3) Les Français n'auraient donc pas compris la loi et n'auraient aucune légitimité à manifester. Ce raisonnement rappelle ce qui s'est passé en 2005 lors du traité constitutionnel européen. Les "nonistes" (partisans du "non") étaient considérés, par une bonne partie de la classe politico-médiatique, comme des "arrière-gardistes" et des "idiots" n'ayant lu aucune ligne du projet. Le "non" l'a emporté au référendum, quatre ans plus tard le même texte (à quelques mots près) est entériné par voie parlementaire. Les "nonistes" craignaient une perte de souveraineté de la France et la régression sociale. 11 ans après le premier jet du traité constitutionnel, et 7 ans après son petit frère - le traité de Lisbonne - difficile de nier que les "nonistes" détenaient, finalement, une bonne partie de la vérité.

    Concernant la loi travail, les insultes sont identiques contre les "anti." L'un de ses partisans, Franz-Olivier Giesbert évoquant des Français - et surtout des jeunes, imbéciles qui ne comprennent rien, comparant aussi la CGT à Daech...

    Faisant fi de ces provocations, les opposants poursuivent et anglent le combat majoritairement sur l'article 2. Un article 2 qui a une conséquence, celle de revenir sur certains droits et accords, un retour en arrière socialement. Effectivement, cet article inverse la hiérarchie des normes. Jusqu'à présent, l'accord de branche (les conventions collectives signées par les syndicats et le patronat) primait. Désormais, si le projet El Khomri était mis en application, l'accord d'entreprise prévaudrait. Cela signifie qu'une entreprise pourrait décider du temps de travail et ce, même si l'accord d'entreprise est moins favorable à l'accord de branche. Répercussion non négligeable : la possibilité d'un dumping social à l'intérieur même de la France, entre les entreprises. Ainsi, pour être compétitive, une entreprise devra s'aligner sur l'accord le moins-disant social, voté par son concurrent. Certes, pour valider des changements internes, un référendum d'entreprise sera obligatoire pour celles qui ne disposent pas d'une forte présence syndicale. Mais, qui contrôlera ce référendum dans les PME, où les syndicats sont peu ou pas présents ? Contester un référendum pour le salarié sera difficile (pour vices de procédures, pour manquement à l'information et aux délais obligatoires, ou pour dénoncer l'impossibilité de voter pour telle ou telle raison). Il devra passer par le tribunal d'instance... Quels sont les salariés - mettant en péril leur carrière - qui auront le courage d'aller jusqu'aux tribunaux, si les référendums ne se sont pas tenus dans le cadre légal ?

    Les manifestants ont, peut-être - justement, trop bien compris l'enjeu de cette loi. Notre démocratie a mal.

     

    Jonas  (non-membre de la CGT)

     

    Note : Ironiquement, c'est un gouvernement dit "de gauche" qui a, pour la première fois en soixante-dix ans, souhaité l'interdiction d'une manifestation syndicale (prévue ce jeudi 23 juin). Mais, face au tollé, volte-face de l'administration... La manifestation aura bien lieu... Les signes du verrouillage du débat auraient été trop patents.

     

     


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