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    Cahier noir sur l'Éducation nationale.  Lorsque les "profs" sont dÉlaissÉs...

     

    Entre les nouvelles réformes qui s'imposent à eux, le gel de leur salaire, les critiques sur leur rythme de travail et leur autorité continuellement remise en cause, les "profs" font partie des oubliés de la République.  Synthèse.

     

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    Éduquer pour former un citoyen : l'École comme socle des valeurs républicaines. Cette définition avait un but dans la construction de la République Française. Celle de considérer chaque Français comme un citoyen éclairé, quels que soient sa classe sociale et son sexe. Avec un point de lumière : la méritocratie. Réduire les inégalités entre les plus pauvres et les plus riches, pour que chacun puisse trouver sa place dans la société. Un enfant pauvre avait ainsi des chances de s'élever socialement et grimper quelques étages de réussite. Aujourd'hui, cet ascenseur social ne fonctionne plus ou mal. La faute aux professeurs ? moins compétents qu'à l'époque ? Certains discours argumentent dans ce sens, comme celui de l'ancien ministre de l'éducation, Luc Chatel. Des discours qui manquent de discernement. Il s'agit donc de comprendre les déviances politiques qui ont dégradé l'école et le professeur. Eux, censés éduquer les enfants de la République. Eux qui sont l'objet d'attaques malheureusement insidieuses et perverses. Le professeur, cible d'autant plus facile puisqu'il subit la crise du syndicalisme. L'État républicain attaque celui qui est censé le promouvoir. Paradoxal.

     

    La fumisterie des concours : les profs ne sont pas moins bons...

     

    L'aspirant "prof" a de quoi être découragé ! Point de départ de la résignation : les examens sont devenus d'une exigence, sur la forme et le fond, presque ridicule. Une exigence qui provoque, de fait, une crise de légitimité. Les nouveaux "profs" sont parfois sélectionnés avec des notes en dessous de la moyenne. Une notation qui crée un problème de représentation. De ce constat, nos profs sont-ils vraiment moins bons ? En réalité, pas du tout.

    D'abord, depuis 2010, les "recrues" ne peuvent passer le concours qu'avec l'obtention d'un bac +5 (contre un bac +2 dans les années 80). Certains thésards et doctorants (bac +8 minimum), ne trouvant pas de débouchés dans leur discipline, se rabattent, eux aussi, régulièrement, sur le métier de "prof"... Un peu par défaut. La plupart du temps, ils commencent en tant que remplaçants dans un collège ou un lycée qui les accueille les bras ouverts. Personne ne pouvant douter de leur compétence théorique. Qui plus est, ces vacataires (ou maîtres auxiliaires), coûteront généralement moins cher qu'un professeur titulaire. Si le métier leur correspond, ces mêmes remplaçants tenteront logiquement de passer le "graal", c'est à dire le CAPES, celui qui donne droit à une titularisation dans l'enseignement public (CAPLP pour la titularisation dans le professionnel).

    Le "prof" doit passer deux épreuves . D'abord, l'écrit, qui relève d'un examen dans un domaine spécifique dans sa matière. Puis, un oral, s'il a été reconnu assez bon à l'écrit. Exemple d'un doctorant, spécialisé dans les probabilités. Il réussit l'écrit. Place à l'oral. Étonnant, il obtient une note proche de 0/20. Son sujet ? les probabilités...

    Certes, il n'avait peut-être pas le bagou, ni la technique, d'un professeur de 20 ans d'expérience. De là,  mettre une note qu'un professeur, lui-même, ne peut imposer à l'un des ses élèves, en cas de feuille blanche... Le jury était peut-être, ce jour-là, un peu jaloux de la compétence élevée de son candidat. Ceci n'étant qu'une supposition.

    Mais comment ne pas être surpris de voir des notes flirtant avec le 2/20, le 3/20 pour des candidats tout aussi compétents dans leur discipline ? Ces notes n'ont rien de rares, elles sont fréquentes.  L'une des raisons supposées : abattre le moral des candidats dans leur demande de titularisation. En effet, ces mêmes candidats sont acceptés sans aucun problème, pendant plusieurs années, en tant que remplaçants, non-titulaires. Coûtant moins cher (avoisinant le SMIC), pourquoi chercher à les titulariser ? De toute manière, ils ne trouveront probablement pas d'autres emplois en dehors de l'éducation nationale. C'est tout "bénef" pour l'État.

    En revanche, si on cherche à comprendre la raison, de la crise de vocation de ces professeurs, il y a, là, un signe patent (tout comme l'envoi de jeunes professeurs, tout juste titularisés, dans des zones sensibles, délaissées par l'Éducation nationale.). Évidemment, cela ne peut avoir qu'une répercussion négative sur l'éducation de nos futurs citoyens. Si les jeunes professeurs ne sont pas émancipés dans leur travail, comment peuvent-il instruire sereinement les élèves ?

     

    Le professeur n'est plus soutenu politiquement

    Le monde de l'enseignement est, dans l'histoire, plutôt orienté à gauche.1 Ils ont en majorité voté pour François Hollande en 2012, certainement attirés par le discours de campagne du Bourget. Néanmoins, depuis le début du quinquennat, le gouvernement socialiste n'est pas tendre avec cette profession. Il y a bien eu des effets d'annonce, par exemple, celui du recrutement de professeurs. Un écran de fumée pour ainsi duper l'enseignant, sur l'attache du gouvernement à l'éducation nationale. Certains lycées et collèges manquent toujours de professeurs titulaires... laissant le poste vide ou rempli par un remplaçant en CDD. Les attaques verbales et les réforme(tte)s de Vincent Peillon puis de Najat Vallaud-Belkacem n'ont, d'ailleurs, pas trompé les enseignants. Leurs manifestations et leur colère peu relayées par les médias, donc peu écoutées par le gouvernement, ont démontré que ce dernier s'accommode très bien de cette perte électorale.  En effet, comment les professeurs ne peuvent-ils pas s'offusquer du discours du ministre de l'économie Emmanuel Macron ? Ce dernier remettant en cause, comme sous le quinquennat précédent de Nicolas Sarkozy, le rythme de travail.2

    Comment ne peuvent-ils pas se sentir attaqués quand ils entendent le discours de Florence Robine, présidente de la DGESCO (Direction Générale de l'enseignement scolaire), placée par Benoit Hamon (ex-ministre de l'éducation nationale), sur l'inutilité et le manque de courage des professeurs en collège ? Un exemple, Florence Robine a osé déclarer le 30 septembre 2015 à l'occasion d'une présentation de la réforme du collège : "Il faut être capable de mettre des élèves en autonomie sans le professeur. Oui c'est possible. On n'a pas forcément besoin d'un enseignant pour apprendre (...)Les élèves, dans certains cas, apprennent mieux en se parlant les uns les autres qu'en écoutant le professeur (sic)." Lunaire venant d'une ex-rectrice d'académie...  <o:p></o:p>

    Comment les professeurs ne peuvent-il pas être choqués quand ils voient l'École torpillée pour la création d'une "École branchouille" (la réforme des collèges 2016 supprime des heures de français, maths et histoire pour créer des disciplines hybrides) ?

    Comment les professeurs ne peuvent-il pas être résignés lorsqu'on leur plaque un salaire, ridiculement bas par rapport à ses voisins occidentaux, dont l'éternel modèle allemand ?3<o:p></o:p>

    L'argument "sarkozyste", "macroniste" et de la cour des comptes étant de considérer qu'ils ne font que 18H par semaine pour un temps plein... Pas assez. Connaissent-ils le travail en dehors des cours y compris le week-end (temps de préparation de chaque heure de cours, correction de copies) ? Savent-ils que les rencontres régulières avec un parent se font généralement en dehors des heures de travail (on peut imaginer le temps d'heures supplémentaires non payées pour un professeur qui a 30 élèves et 3 classes) ? Selon une étude de 2013, un professeur travaillerait réellement, en moyenne, 41 heures par semaine.4 Oui, nul doute, certains enseignants (comme dans chaque profession) ne sont pas tous aussi sérieux. De là, en faire une généralité... Ceci étant, cela reste imaginable, si la République poursuit son travail de sape sur la motivation et l'ambition des "profs"...

    Enfin, comment les professeurs ne peuvent-il pas s'offusquer lorsqu'on leur met une logique de rentabilité sur leur dos ? <o:p></o:p>

     

    L'école coûte cher et ne gagne pas assez

     

    La logique de rentabilité devrait être bannie d'une action liée à l'Éducation nationale. Cet objectif se remarque plus profondément dans les établissements privés sous contrat avec l'État et dans les zones dites "sensibles". Dans certains établissements, le proviseur sape même l'autorité du professeur dans ce but.

    Éduquer correctement l'élève et suivre un programme n'est même plus l'objectif prioritaire. Ainsi, l'une des consignes : ne jamais exclure un élève même si celui-ci perturbe régulièrement la classe. Exclure un élève, c'est un risque financier pour l'établissement. Ce dernier a besoin de l'argent des parents pour son budget. De fait, le professeur n'a aucun moyen de sévir et de se faire respecter. La colle, tout au plus, comme moyen de sanction. Toutefois, un élève ne venant pas en colle, ne sera, évidemment, dans cette logique, pas exclu. Les exemples les plus tordus ont été remarqués5 : celui de l'élève exclu (malgré tout) pour faute grave mais réintégré l'année suivante dans le même établissement ; l'élève responsable d'une agression mais non exclu. Dans ce dernier cas, un proviseur tentera d'étouffer l'affaire. Les exclusions doivent être ainsi rares. L'argent primant ?

    Concernant les notes : là aussi les "profs" n'ont pas beaucoup de choix et le système pernicieux conduit naturellement au rabais du niveau d'éducation. Si on prend le cas des lycées professionnels privés : ceux-ci tentent d'attirer des élèves, tels des clients à travers les pourcentages de réussite. Les diplômes professionnels se font par un système de contrôle en cours de formation. C'est au professeur, de ce même lycée, de juger la compétence de chaque élève, avant de leur faire passer l'examen. Un élève ne travaillant pas et naturellement, jamais prêt pour le contrôle, se doit évidemment de passer l'examen. Le professeur, s'il juge son élève dans un niveau insatisfaisant, ne peut sévir trop sévèrement. Pour plusieurs raisons : premièrement, il est dans la responsabilité de préparer l'élève à l'examen, même si ce dernier est nonchalant. Une mauvaise note finale place donc le professeur dans la faute professionnelle. Absurde.  Deuxièmement, certains proviseurs perçoivent mal une note basse, qui donnerait une mauvaise image de l'établissement, si elle venait à affaiblir son pourcentage de réussite.6 À noter que le professeur a besoin d'être en connivence avec la logique rentable de l'établissement, puisque c'est au proviseur de juger (très subjectivement) l'augmentation du point d'indice du professeur (et donc de sa promotion à un nouvel échelon). Là aussi absurde, puisque l'éducation ne devrait pas être guidée par la valeur marchande.

    D'autres cas ont été constatés et montrent la dégradation du statut du professeur que ce soit dans le privé ou le public (demande de bénévolat, en dehors de ses heures de cours, pour attirer de nouveaux élèves lors de journées portes ouvertes ; remplissage de ses classes à plus de 30 élèves y compris dans celles qui sont en difficultés, etc.)

     

    Chez les professeurs, les non-titulaires sont évidemment en première ligne. Ils n'ont qu'à remplir tous ces objectifs, pour conserver une chance de préserver leur poste l'année suivante... Les différents gouvernements construisent une école au rabais, en dehors de toute réalité. Un danger pour l'épanouissement personnel des élèves. L'Éducation nationale est bien malade...

     

    Jonas

     

    1. Parmi les articles évoquant cette tendance : </o:p>http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2015/07/24/01016-20150724ARTFIG00322-sondage-les-enseignants-se-detournent-de-francois-hollande.php

    2. Parmi les discours http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/citations/2015/09/20/25002-20150920ARTFIG00063-statut-des-fonctionnaires-valls-soutient-macron-jusqu-au-bout.php 

    3. Voir à ce sujet : http://www.lemonde.fr/ecole-primaire-et-secondaire/article/2014/09/09/en-france-un-professeur-est-mieux-paye-au-lycee-qu-a-l-ecole_4484274_1473688.html

    4. http://www.education.gouv.fr/cid72848/les-enseignants-du-second-degre-public-declarent-travailler-plus-de-40-heures-par-semaine-en-moyenne.html

    5. Articles de presse et témoignages dans des établissements en région parisienne. Parmi ceux-ci : http://bondyblog.liberation.fr/201302212207/des-profs-casques-excedes-et-desarmes/

    6. C'est pourquoi au sein de certains établissements les notes données par les professeurs ne sont pas définitives. Elles sont régulièrement réévaluées par les responsables de l'établissement.

     


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