• ANALYSE. Le Medef (principale organisation patronale) est en train de gagner la bataille des idées. Les syndicats sont devenus atones. La bataille médiatique autour de la grève à Air France et les divers conflits sociaux l'illustrent. Une bataille qui va plus loin que la représentation des syndicats, le système social est également martelé avec succès. Presque deux siècles après les thèses de Karl Marx, la société est ainsi d'autant plus divisée en classes dominantes/dominées.

     

    Emmanuel Valls et Pierre Gattaz

    Plusieurs facteurs ont permis l'effondrement programmé d'un système social de protections pour les classes les plus faibles. Le Parti Socialiste a évidemment favorisé ce basculement idéologique. Pourtant, l'origine du socialisme reposait justement sur la défense des plus faibles et "la révolte contre les injustices" (déclaration de principes de juin 2008). Mais le nouveau tournant libéral du PS de 2014 et la volonté de réformer le travail - sur la continuité de ce qu'avait tenté la droite libérale sous Nicolas Sarkozy - ont détruit le dialogue social et la légitimité des syndicats (situés majoritairement à gauche). Certains d'entre eux (comme la CFDT) avaient d'ailleurs appelé, publiquement (chose rare en France), à voter François Hollande en 2012, par peur de la poursuite de la politique "Sarkozyste." Dupés mais aussi naïfs, les syndicats ont donc été pris au piège par l'évolution du socialisme vers le social-libéralisme. Pis, le gouvernement a même affiché clairement son interlocuteur privilégié pour les conflits sociaux : le MEDEF (représentant le grand patronat). Les signes d'humiliation contre les syndicats sont alors devenus patents et nombreux : Manuel Valls applaudi lors de l'université du MEDEF (août 2014), le CICE (cadeau de 20 milliards d'euros fait aux entreprises sans contrepartie d'embauches), la remise en cause des 35 heures (par l'ex-ministre du travail François Rebsamen et le ministre de l'économie Emmanuel Macron), la tentative de plafonnement des indemnités prud'homales pour les entreprises licenciant sans cause réelle ni justifiée, etc.

     

    Avec certitude, le gouvernement socialiste et le siège du PS, rue de Solférino, assument ce virage. Cela passe également par des mots et des codes attribués auparavant à la Droite. Parfois de manière insidieuse dont l'objectif est, sur le long terme, d'arriver à la consolidation d'un système où règnent "l'intelligentsia" et "l'establishment". Ceux qui gouvernent, ou ont gouverné, gardent des billes dans les grandes entreprises. Ils se placent1, placent leurs collaborateurs2, et n'ont aucune raison de bousculer cet "establishment". Le jour où les élites politiques sont remplacées, elles trouveront ainsi refuge facilement.

    Exemple concret et récent du discours insidieux emprunté à la droite libérale  : l'attaque contre les fonctionnaires par Emmanuel Macron (septembre 2015). Une cible facile, puisque les fonctionnaires cristallisent les crispations dans une société en crise sociale. Le fonctionnaire, cette personne dont l'emploi est si stable. Le PS joue donc de la fracture entre le privé et le public pour remettre en cause un statut de "privilégié." Les médias sont évidemment parties prenantes de ce jeu. Il est facile de choisir cinq personnes dans la rue qui dénoncent le nombre de fonctionnaires ou de réaliser un sondage biaisé dont la question est rhétorique "trouvez-vous qu'il y a trop de fonctionnaires ?". Néanmoins, lorsque vous posez aux personnes répondant "oui," la question de : "êtes-vous donc prêts qu'il y ait moins de professeurs et soyez obligés d'envoyer votre enfant à 20 km de votre lieu de résidence dans une classe de 40 élèves ?" ou "êtes-vous donc d'accord d'attendre près de 10 heures à l'hôpital du fait de la réduction du nombre d'infirmiers/ères ?". La réponse sera là aussi toute trouvée. Mais ces dernières questions ne seront pas mises en avant car elles ne participent pas à l'objectif souhaité et voulu par une classe dominante. Tout le mécanisme est insidieux. Il ne s'agit pas d'une théorie "complotiste" mais d'une stratégie structurelle : celui d'affaiblir l'Etat pour privatiser, et laisser aux grands groupes privés la mainmise des décisions. L'une des causes de ce but : la connivence entre politique et intérêts privés.

     Instituer l'idée que l'Etat devrait revoir le statut des fonctionnaires fait ainsi son chemin. Pour éteindre l'incendie conjoncturel provoqué par Emmanuel Macron (en réalité par la volonté gouvernementale du Premier ministre, Manuel Valls ou du Président de la République, François Hollande), le Premier ministre, Manuel Valls, a indiqué que la question n'était pas à l'ordre du jour, tout en soutenant l'action de son ministre de l'économie. Une petite tape sur les doigts qui a un but concret : provoquer le débat au sein du Parti Socialiste et se positionner en tant que réformateur et "moderniste." Et cela marche. Si bien que l'idée de réformer le statut des fonctionnaires reviendra prochainement sur la table. Ne pas avoir le soutien des professeurs ? Qu'à cela ne tienne ! Le Parti Socialiste se posera comme celui qui fait bouger le mammouth de l'éducation nationale, devançant la droite libérale sur le sujet. Le tout avec le soutien logique du MEDEF et de ses penseurs. En face, les syndicats sont impuissants face à la machine infernale du "modernisme" libéral. D'Emmanuel Macron à Alain Juppé, en passant par François Bayrou ou Nicolas Sarkozy, c'est à dire ceux qui représentent les partis "modérés" pour la classe médiatique, ont exactement le même discours sur ces sujets : l'État doit être moins impliqué dans l'économie, au profit du marché ; les fonctionnaires sont des coûts insurmontables pour le pays ; le code du travail doit laisser le marché plus libre dans ses actions ; les syndicats sont des blocages aux réformes "modernistes", etc.

    Si bien qu'aujourd'hui, les "modernistes" peuvent se rapporter à la classe dominante. Oui, classe dominante à la marxiste. En effet, les rapports sociaux et la violence de la fracture sociale (idée chère de Jacques Chirac en 1995) sont tels qu'ils poussent les analyses libérales, alter- et anti-libérales à raisonner de manière marxiste. Il suffit de regarder les inégalités pour constater qu'elles s'aggravent entre les plus faibles et les plus puissants ( près de la moitié des richesses mondiales sont aujourd'hui détenues par 1% de la population.) .3 et 4 Pourtant, la participation à l'effort de la collectivité est proportionnellement plus importante pour les classes sociales les plus faibles.A mesure que le Français monte dans l'échelle des revenus, le taux effectif d'imposition diminue.6

     De fait, cette classe dominante veut conforter son assise. Cela passe par des tentatives d'influence ou un "entrisme" des groupes privés vers les "grands" partis majoritaires. Ces derniers, ne souhaitant pas s'affaiblir, évoluent dans le sens des "décideurs" économiques. Emmanuel Macron mais aussi Dominique Strauss-Kahn ou encore Pierre Moscovici sont les figures de l'évolution "moderniste" du socialisme. Conséquence : les milieux les plus faibles sont les premières victimes de ce système. Une classe d'autant plus dominée que les syndicats sont amorphes face au rouleau compresseur "moderniste." Les "petits" fonctionnaires (personnel hospitalier, professeurs, etc.) sont tout aussi impactés avec le gel des salaires, la mise en œuvre d'une "rentabilité" de leur travail, etc. Il s'agit pour les dominants de casser le système social et protecteur de l'Etat (SMIC, sécurité sociale, assurance chômage, etc.) au profit du marché, où seuls les plus forts ont leur place. Logiquement, les inégalités augmentent, les riches s'enrichissent, les pauvres s'appauvrissent... La loi de la jungle. La République Française est touchée en son cœur. 

     

    SYNTHÈSE / CONCLUSION

    Les syndicats sont dans un état lamentable. Pourquoi ? parce que le MEDEF a gagné la bataille idéologique. Pourquoi a-t-il gagné la bataille idéologique ? Parce qu'il est devenu l'interlocuteur privilégié, y compris par le gouvernement socialiste (avec l'éclosion du social-libéralisme). De Macron à Juppé en passant par Sarkozy ou Bayrou, tous remettent en cause la légitimité des syndicats. Les médias sont parties prenantes de ce constat. Pourtant, avec 7% de syndiqués, les forces sociales sont plus représentatives que les partis... Mais ça le dit-on ? non. Pourquoi ? pour ne pas rendre illégitime l'entreprise, de destruction sociale, des décideurs politiques. Cela passera par la remise en cause perpétuelle du code du travail, les reculs de l'âge légal du départ à la retraite, la suppression d'avantages sociaux, la précarisation des contrats (fin prochaine du CDI ?), le rallongement du temps de travail, etc.

     

    La défaite des syndicats face aux « modernistes » disponible également sur Agoravox.

     

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     1. Cela se voit plus nettement lorsque cela fait polémique. Exemple parmi d'autres avec la nomination de François  Brottes à RTE http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/decryptages/2015/07/23/25003-20150723ARTFIG00229-nomination-de-brottes-a-la-rte-l-astuce-du-ps-pour-s-eviter-une-legislative-partielle.php

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    2. Là aussi les exemples sont pléthores comme l'affaire Agnès Saal : http://www.lepoint.fr/societe/apres-les-exces-de-taxi-agnes-saal-recasee-au-ministere-de-la-culture-20-05-2015-1929927_23.php ou encore l'Affaire des sondages de Pierre Giacometti sous le quinquennat précédent http://www.leparisien.fr/faits-divers/sondages-de-l-elysee-sous-sarkozy-pierre-giacometti-mis-en-examen-29-09-2015-5138447.php

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    3. http://www.latribune.fr/actualites/economie/international/20140120trib000810501/les-85-plus-riches-du-monde-possedent-autant-que-les-35-milliards-les-plus-pauvres.html

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    4. http://www.inegalites.fr/spip.php?page=analyse&id_article=2088&id_rubrique=110&id_mot=30&id_groupe=9

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    5. http://bercy.blog.lemonde.fr/2011/01/20/les-10-de-francais-les-plus-riches-detiennent-62-du-patrimoine/

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    6. Analyses de Thomas Piketty

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  • Les syndicats sont dans un état lamentable. Pourquoi ? parce que le MEDEF a gagné la bataille idéologique. Pourquoi a-t-il gagné la bataille idéologique ? Parce qu'il est devenu l'interlocuteur privilégié, y compris par le gouvernement socialiste (avec l'éclosion du social-libéralisme). De Macron à Juppé en passant par Sarkozy ou Bayrou, tous remettent en cause la légitimité des syndicats. Les médias sont parties prenantes de ce constat. Pourtant, avec 7% de syndiqués, les forces sociales sont plus représentatives que les partis... Mais ça le dit-on ? non. Pourquoi ? pour ne pas rendre illégitime l'entreprise, de destruction sociale, des décideurs politiques. Cela passera par la remise en cause perpétuelle du code du travail, les reculs de l'âge légal du départ à la retraite, la suppression d'avantages sociaux, la précarisation des contrats (fin prochaine du CDI ?), le rallongement du temps de travail, etc.


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